L’instruction en famille

(Cet article est basé en particulier sur la revue de littérature de Kunzman & Gaither 20201 et sur les articles de Bongrand & Glasman, 20182 et Bongrand 20193)

Résumé au hachoir

  • En France, 25.000 enfants (0,2%) pour lesquels l’instruction en famille est un choix
  • Les motivations des parents sont surtout liées à une volonté de s’impliquer dans l’enseignement, à une insatisfaction avec l’école local, et aux préférences de l’enfant.
  • Les pédagogies employées suivent un continuum allant de contenus informels (surtout avec les enfants d’âge primaire) à des contenus plus formels du type cours à distance.
  • Globalement, ces enfants ont tendance à être meilleurs que les autres dans les matières littéraires et montrent plus de leadership. Par contre, ils sont un peu moins bons en mathématique et se retrouvent plus souvent sur des emplois à plus bas salaire.
  • Les enfants pratiquant l’IEF ne semblent pas moins performants socialement que les autres.
  • L’IEF ne semble pas avoir d’impact flagrant sur la santé physique et est même corrélée à une meilleure santé mentale.

Combien d’enfants sont concernés ?
Qu’est-ce qui motive les parents ?
En quoi cela consiste ?
Performances scolaires

La socialisation de l’enfant
La santé physique et mentale

 

Point méthodologique

La grande majorité des études, en particulier américaines, souffrent de nombreux biais méthodologiques :

  • Echantillons souvent faibles, et de commodité (c’est-à-dire des volontaires pas forcément représentatifs)
  • Etudes qualitatives faisant dire à certains que la littérature ne consiste finalement qu’en une série d’anecdotes4.
  • Analyse binaire (instruction à domicile vs instruction à l’école), sans prendre en compte les années passées dans un mode d’instruction ou un autre, ou encore les enfants qui combinent les deux modes d’instruction.
  • Biais partisans, la plupart des personnes écrivant sur le sujet, en particulier aux Etats-Unis, font activement la promotion de cette alternative à l’école, ou sont financés par des compagnies conservatrices et protestantes très critiques de l’école publique (par exemple toutes les études du National Home Education Research Institute de Brian D. Ray, qui sont souvent citées par les promoteurs de l’école à la maison).

Tout ceci commence à être dénoncé et à changer depuis une petite dizaine d’années4–6. C’est pourquoi il est important de se méfier des références plus anciennes et de privilégier les revues de littérature récentes sur le sujet.

Combien d’enfants sont concernés ?

On estime que l’instruction en famille (IEF) (aussi connue sous le nom d’instruction à domicile, ou école à la maison) concernerait 1,7 millions d’enfants, soit 3,3% des enfants dans le monde. En France, ce serait environ 50.000 enfants, soit 0,4 % des enfants de l’Hexagone. Parmi eux, la moitié sont reconnus comme ne pouvant être scolarisés (Handicapés, malades, itinérants) et sont inscrits, quand c’est possible, au Centre National d’Enseignement à Distance (CNED). Il reste ainsi environ 25.000 enfants pour lesquels l’instruction en famille est un choix.

On trouve également en France d’autres enfants non scolarisés mais qui ne sont ni déclarés, ni identifiés comme « instruits en famille ». Il s’agit de mineurs étrangers isolés et/ou d’enfants vivant dans des conditions d’extrême pauvreté (familles en grande précarité, migrants…), dont les parents soit ignorent l’obligation d’instruction, soit n’ont pas les moyens de la respecter à cause de problèmes beaucoup plus impérieux. Les recherches présentées dans cet article ne tiennent pas en compte ces enfants.

Qu’est-ce qui motive les parents ?

Lorsqu’ils parlent librement, la plupart des parents américains ayant choisi l’IEF en famille mentionnent des inquiétudes en lien avec l’école, la sécurité, la religion, ou encore le désir de renforcer les liens familiaux1,7. Par ailleurs de nombreuses études soulignent que les parents choisissant ce mode d’instruction rapportent avoir eu, eux-aussi, des expériences négatives avec l’école et ne souhaitent donc pas faire vivre cela à leurs enfants8–12.

Le contexte joue également un rôle important. Des études américaines (encore !) rapportent que dans des régions pauvres, avec des écoles publiques de mauvaise qualité et peu d’écoles privées, les parents pratiquant l’IEF sont généralement blancs et éduqués. S’ils avaient eu accès à de meilleures écoles, ils n’auraient probablement pas choisi ce mode d’instruction13–15. Une autre étude menée en Virginie, une région moins pauvre avec de bonnes écoles publiques et privées, rapporte que l’instruction à domicile est plutôt pratiquée par des parents aisés, au sein de communautés rurales et conservatrices, suggérant que, dans cette région, c’est l’idéologie protestante conservatrice qui serait à l’origine de ce choix pédagogique16.

Les études dans les milieux francophones donnent d’autres résultats. Par exemple, au Québec et en France, le rôle de la religion est beaucoup plus faible même s’il est parfois mentionné3,17. Une étude française distinguait quatre catégories principales de motivation3, listées de la plus fréquente a la moins fréquente :

  • Le désir des parents (renforcer les liens familiaux, plaisir d’enseigner, projet pédagogique alternatif);
  • L’école (mauvaise relation avec un enseignant, insécurité) ;
  • Les préférences de l’enfant ;
  •  Le souhait de limiter les mauvaises fréquentations de l’enfant

L’auteur insiste ainsi sur l’importance de ne pas sous-évaluer le rôle de la volonté d’implication de certains parents, de la qualité de l’école publique, ou du refus de l’insécurité dans les choix d’instructions.

Les motivations sont donc souvent diverses, peuvent s’ajouter les unes aux autres, et parfois changer au cours de l’éducation de l’enfant. Ainsi un même parent pourra mentionner le harcèlement scolaire, les journées trop longues, l’inégalité des chances dans le système scolaire, ou une conception différente de la laïcité.

Au vue de ces données, les chercheurs insistent sur le fait que le dialogue dans l’espace publique et la prise de décision ne devraient pas être guidés par des activistes ou des anecdotes isolées qui tendent à polariser le débat entre deux caricatures : celle des petits génies autodidactes18,19, ou celle d’enfants enfermés et endoctrinés chez eux par leurs familles religieuses20. Ces discours détournent l’attention d’autres figures qui, si moins spectaculaires sont pourtant beaucoup plus courantes, à savoir :

  • L’incapacité de pouvoir scolariser l’enfant dans un meilleur établissement ;
  • Mauvaise expérience avec un enseignant ;
  • Problèmes d’insécurité ou d’harcèlement scolaire.

On voit également que ces données concernant l’instruction en famille conduisent à interroger l’institution scolaire.

« Le risque existe en particulier d’accorder moins d’attention au cas, beaucoup plus fréquent et banal, des parents qui déscolarisent leur enfant faute de pouvoir scolariser dans un établissement qui réponde à leurs attentes – leur satisfaction renvoyant à des acceptions, démarches et situations très différentes. Pour certaines familles, il s’agit d’interrompre une situation scolaire insupportable : lorsque l’expérience scolaire de leur enfant est pleine d’adversités et source de meurtrissures, que ce soit dans les relations avec les enseignants, les camarades ou les savoirs, des parents sont disposés voire déterminés à faire flèche de tout bois pour lui permettre de moins souffrir, de retrouver le goût d’apprendre et la joie de vivre. Si ces parents, déscolarisant par dépit, sont moins repérables dans le débat public, c’est que leur désarroi se vit à bas bruit; ils ne signent pas de pétition, ne sollicitent pas d’audition au ministère, et ne sont pas l’objet de soupçon d’anti-républicanisme de la part des pouvoirs publics » (Bongrand et Glasman, 2018)2

En quoi cela consiste ?

La littérature, encore une fois essentiellement américaine, distingue souvent deux groupes d’éducateurs. Le premier groupe, majoritaire, conservateur et principalement motivé par la religion, utilise un style pédagogique souvent directif. Contrairement à ce que certains pourraient penser, les pédagogies employées par ces groupes insistent sur la pensée critique et l’utilisation de sources primaires. Ils ne font pas tellement cela par amour pour ces méthodes mais plutôt pour préparer au mieux leurs enfants à intégrer l’université plus tard21,22. Le 2e groupe, moins répandu, utilise en général une pédagogie qui se veut émancipatrice et beaucoup plus centrée sur l’enfant23–25.

En France, il est clair que l’instruction à domicile varie d’une famille à une autre le long d’un continuum entre des contenus et des types de pédagogie formel et informel2. De fait, certains parents modifient leur opinion et leur pratique au cours du temps. De plus, il existe souvent une porosité entre les différents modes d’instruction, que ce soit par des retours vers le système classique ou des oscillations entre IEF et écoles privées hors-contrat. Ainsi un des résultats qui revient le plus souvent est qu’après un an ou deux d’effort pour suivre un programme officiel et copier le système scolaire, les mères (car ce sont principalement des mères dans la plupart des études), adoptent graduellement des approches moins structurées mais plus éclectiques.

Une étude longitudinale ayant suivi 225 familles entre 1998 et 2008 rapportait une utilisation croissante au cours du temps des ressources disponibles (groupes de soutien, bibliothèques, ateliers divers, cours en ligne etc…)23. Il semble donc bien qu’au fur et à mesure que l’enfant grandit, les parents passent d’un apprentissage mené par l’enfant à un apprentissage davantage influencé par les ressources disponibles.

D’autres options pour les parents cherchant à répliquer le système scolaire consiste à suivre des programmes par correspondance. Ces programmes peuvent proposer un curriculum complet avec l’accès à des enseignant ou des tuteurs, la possibilité de passer des examens et d’avoir des diplômes reconnus. En France, une étude menée sur 67 familles rapportait que 55 d’entre elles utilisaient des cours à distance (dont 33 avec le CNED) et les 12 familles qui n’en utilisaient pas avaient surtout des enfants d’âge primaire3.

Performances scolaires

La littérature s’intéressant de près à cette question reste controversée. En effet, la plupart des études ont été réalisées par des militants en faveur de l’IEF dont les participants proviennent le plus souvent de leurs réseaux. Sans surprise, ces études rapportent de très bons résultats (notamment celles de Brian D. Ray, qui sont souvent citées par les promoteurs de l’écoles à la maison).

D’autre études, moins nombreuses mais plus indépendantes, sont davantage nuancées26. Lorsque les chercheurs s’intéressent aux enfants dont les parents utilisent une pédagogie bien structurée, ceux-ci s’avèrent meilleurs que les élèves instruits à l’école. A l’inverse, ceux dont les parents pratiquent une pédagogie moins structurée, ou une instruction totalement libre, ont de moins bonnes performances que les élèves instruits à l’école26–28.

Lorsque l’on prend en compte le statut socio-économique, il semble que les enfants ayant été instruits à domicile soient meilleurs que la moyenne sur les matières littéraires, mais un peu moins en mathématique29,30. Les raisons restent très spéculatives mais il semble que ces enfants passent plus de temps à lire et moins de temps à faire des mathématiques, peut-être parce que les mères qui gèrent le plus souvent l’instruction à domicile sont moins à l’aise avec ce sujet.

La transition vers le lycée ou vers les études universitaires se passe souvent bien mais les performances académiques restent globalement n peu plus faibles par rapport aux enfants ayant été dans des écoles privées. Le leadership est un domaine dans lequel les enfants instruits à domicile sont généralement meilleurs. Ils se retrouvent ainsi plus souvent dans des rôles de meneurs et sur de plus longues périodes.

En revanche, une fois adulte, ils ont tendance à occuper des emplois à plus bas salaire que ceux ayant reçus d’autres formes d’éducation31. Le document qui rapporte ce dernier résultat provient d’une organisation en faveur de l’instruction à domicile. On peut alors penser qu’ils ont fait de leur mieux pour présenter ces résultats le plus positivement possible. Cela étant dit, les critères conventionnels liés aux notes, aux classements et à l’employabilité ne sont parfois pas ce qui motivent les familles à pratiquer l’instruction à domicile et ne sont donc pas toujours pertinents.

La socialisation de l’enfant

La plupart des parents considèrent que leurs enfants ont des expériences sociales aussi riches si ce n’est supérieures à ceux allant à l’école. Ceci du fait des interactions avec la famille, des groupes de soutien, des activités extra-scolaires, et d’un engagement plus prononcé avec la communauté32. Le plus gros du débat porte en réalité sur ce que l’on considère être une « bonne » socialisation pour l’enfant. Cette question regroupe plusieurs inquiétudes liées à la vie en société, à l’autonomie de l’enfant, à l’endoctrinement religieux et à la citoyenneté en général.

Concernant la vie en société, parmi une centaine d’études s’étant intéressées à la question, les enfants pratiquant l’IEF ne semblent pas moins performants socialement que les autres32,33. Quelques études suggèrent même que ces enfants sont plus autonomes et plus motivés que les autres, ce qui se reflètent dans les études sur le leadership34. D’autres études rapportent parfois un sens plus prononcé d’isolement social et un intérêt plus faible concernant leurs pairs, en particulier chez ceux ayant eu moins d’activités extra-scolaires35,36. Toutefois, certains soulignent que cela peut avoir des bénéfices comme une indifférence concernant les modifications de statut social, ou la comparaison avec les autres32,37.

Concernant l’autonomie des enfants à développer leurs croyances et leurs valeurs, l’inquiétude est que l’IEF réduirait la diversité des perspectives nécessaires pour pouvoir réfléchir de manière critique sur ces questions. En effet, les enfants doivent avoir accès à suffisamment d’options susceptibles de donner du sens à leur vie et parmi lesquelles choisir38–42. Mais évidemment, la question n’est pas si simple. D’autres chercheurs questionnent la capacité de l’école traditionnelle à favoriser cette autonomie chez l’enfant. En effet, on peut aussi y trouver un certain « entre soi social » que ce soit dans des établissements scolaires publics ou privés, très homogènes socialement, soit entre catégories favorisées, soit entre catégories défavorisées. La question se pose aussi de savoir si l’Etat ou une quelconque institution est capable d’évaluer ce seuil d’autonomie minimale43–46. D’autre part, l’éducation religieuse pourrait aussi promouvoir une certaine pensée critique et des options de vie alternatives. L’école à la maison représente pour certains parents une approche alternative dans laquelle questionner les expertises officielles n’est pas rare47. Cet état d’esprit peut aussi favoriser une certaine autonomie de pensée. La question de l’autonomie de l’enfant reste donc encore clairement ouverte au débat.

Concernant les valeurs religieuses, les données empiriques dont on dispose suggèrent fortement que l’engagement religieux des parents façonne la religiosité de leurs enfants de manière beaucoup plus significative que le type d’éducation ou d’école que leurs enfants expérimentent48,49. Ces données nuancent fortement l’idée selon laquelle l’IEF augmenterait l’influence idéologique des parents. Il semble bien, au contraire, que les parents décidés à faire adopter à leurs enfants certaines valeurs ou croyances n’aient pas besoin de l’IEF pour cela.

Concernant la citoyenneté, l’inquiétude serait que la plus faible exposition des enfants à une certaine diversité sociale et culturelle pourrait mal les préparer à s’impliquer politiquement. Les citoyens doivent en effet être conscients de leurs particularités, et capables d’interagir de manière respectueuse avec le pluralisme de points de vue propre à l’espace public38,40. Les quelques études dont on dispose sur le sujet restent contradictoires concernant la tendance à faire du bénévolat par exemple ou à voter31,50–52. Ceci étant dit, la question selon laquelle un certain activisme favorise la vitalité de l’espace publique ou au contraire renforce sa fragmentation reste aussi une question ouverte.

La santé physique et mentale

« La manière dont le gouvernement caractérise, en la marginalisant, l’IEF, pourrait lui permettre de viser double : brandir un discours égalitariste à peu de frais, et accroître le contrôle sur la population (notamment sur les familles IEF qui jouissent d’une autonomie potentiellement trop importante, vis-à-vis de l’État ?). En effet, cela fait des années que l’État cherche à limiter, voire à mettre fin à l’IEF. En 1999 une première circulaire paraît, faisant l’amalgame entre instruction en famille et sectarisme ou maltraitance, puis séparatisme. En 2007, 2011, 2013, 2016 et 2018 des amendements et propositions de loi ont vu le jour, qui visaient à limiter l’instruction en famille ou l’interdire. » (Proboeuf et La Valle Torres, 2021)53.

 

On le voit avec cette citation, les pouvoirs publics se sentent depuis longtemps concernés par l’IEF. Ils ne sont pas les seuls. Les pédiatres s’inquiètent également, notamment de l’absence de dépistages tels que ceux des troubles du développement ou de l’apprentissage qui ont normalement lieu à l’école. De plus, certains parents instruisant à domicile ont moins confiance dans les institutions publiques, les professionnels de santé, ou les travailleurs sociaux, ce qui pourrait les amener à moins les consulter en cas de problèmes54,55. Cela étant dit, globalement les études sur le sujet ne montrent pas vraiment d’effet de l’IEF sur la santé physique56–59. Concernant la santé mentale, les données suggèrent moins de dépression, d’anxiété, et de problèmes de comportements chez les enfants instruits à domicile60,61.

Pour ce qui est d’un lien entre IEF et maltraitance infantile, les données ne sont pas disponibles. La possibilité pour les parents de cacher plus facilement la maltraitance de leurs enfants en limitant les contacts avec les professionnels de santé et d’éducation reste aussi une question ouverte62. Ce sujet mérite clairement plus de recherche avec une meilleure communication entre les professionnels de santé et les organismes en lien avec l’instruction en famille63.

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Date de dernière mise à jour : 06/12/2021