Mathophobie
Cet article s’est principalement basé sur les revues de littérature de Ma, 19991, Ramirez et al., 20182 et de Suárez-Pellicioni et al., 20163.
Résumé
- L’anxiété liée aux mathématiques peut s’observer chez les enfants dès l'âge de 5-6 ans et toucherait un tiers des adolescents.
- Les enseignants et les parents mathophobes peuvent transmettre leur anxiété des maths.
- Les différentes recommandations et interventions impliquent :
- Ne jamais se montrer hostile ou moqueur face à un élève en difficulté
- Eviter les propos essentialistes ou fataliste
- Encourager les programmes de tutorat individuel
- Utiliser les supports numériques
- Présenter les mathématiques de façon positive au quotidien
- Communiquer sur les effets potentiellement bénéfiques du stress
- Proposer aux élèves d’écrire et de communiquer librement leurs inquiétudes avant un examen
- Présenter des biographies réalistes des scientifiques connus qui mentionnent leurs erreurs et leurs difficultés
- Écouter des anciens élèves expliquant qu’il est normal d’avoir des difficultés notamment lors de la transition collège-lycée
- Proposer des exercices de respiration dirigés pour les élèves très anxieux
De quoi s’agit-il et combien de personnes sont concernées ?
La mathophobie fait référence aux sentiments d’anxiété ressentis par de nombreuses personnes lorsqu’elles font face aux mathématiques. Il s’agit d’un continuum, et certaines personnes peuvent avoir des formes très sévères. De plus, les recherches s’accordent sur l‘existence d’une forte corrélation entre ce type d’anxiété et les
D’après les résultats du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (Programme for International Student Assessment, PISA), qui s’est déroulé dans 65 pays, 33% des élèves de 15 ans disent se sentir désemparés face aux mathématiques. La plupart des études soulignent des niveaux d’anxiété plus importants chez les filles que chez les garçons4,5.
Par ailleurs, on sait aujourd’hui que l’anxiété liée aux mathématiques peut s’observer chez les enfants dès l'âge de 5-6 ans. Elle augmente ensuite en sévérité entre 10 et 18 ans, d’où l’importance des diagnostics et des interventions précoces.
D’où ça vient ?
Trois hypothèses, non-exclusives, ont été proposées pour expliquer le lien entre la mathophobie et les mauvais résultats en math : l’hypothèse dite de la « compétence réduite », celle de la « perturbation », et celle de « l’interprétation ».
L’hypothèse de la « compétence réduite » (The Reduced Competency Account) suggère que ce sont les faibles résultats qui causent l’anxiété et la mathophobie. Ainsi les individus qui débutent leur apprentissage avec de plus faibles compétences numériques ou spatiales seraient plus à risque de devenir mathophobes. On sait par ailleurs que les étudiants moins bons en mathématiques évitent les opportunités d’en faire, ce qui ne ferait qu’empirer leur situation.
L’hypothèse de la « perturbation » (The Disruption Account) suppose que l’anxiété causerait les faibles résultats. On sait en effet que l’anxiété peut perturber et réduire la mémoire de travail qui nous permet d’effectuer les opérations nécessaires aux mathématiques.
De manière intéressante, ces deux hypothèses semblent être valides, et le lien entre anxiété et performances en mathématique est probablement bi-directionnel donnant lieu à un cercle vicieux6.
Une troisième hypothèse dite de “l’interprétation” (The Interpretation Account) a également été récemment proposée. D’après celle-ci, c’est la manière dont l’élève interprète ses expériences mathématiques qui condui
Une étude avait déjà rapporté que la perception des capacités en mathématiques (plus que les capacités réelles) prédit l’anxiété en math l’année suivante7. Ainsi les élèves qui interprètent leurs mauvais résultats comme une indication de faible compétence seront plus anxieux que ceux qui interprètent ces mêmes résultats comme le fait que le sujet est difficile, qu’il requiert davantage de travail et que les erreurs sont une partie normale de l’apprentissage8. Il semblerait en effet que les élèves qui sont mathophobes mais qui ont pourtant de bons résultats prendraient le temps de réinterpréter consciemment leurs émotions et leurs perceptions de la situation au lieu de succomber aux pensées et aux émotions négatives qui viendraient perturber leur mémoire de travail9.
L’interprétation biaisée peut aussi concerner le ressenti physiologique (mains moites, rythme cardiaque plus élevé…)10. Les étudiants qui pensent avoir la connaissance et l’intelligence nécessaire interpréteraient les signaux de stress comme le fait qu’ils font face à un défi, ce qui les rendrait moins anxieux et plus motivés à performer. A l’inverse, les élèves interprétant ces signaux comme de la détresse seraient, quant à eux beaucoup plus anxieux et auraient de moins bons résultats.
Comment prévenir et soigner la mathophobie ?
A partir de ces différents cadres théoriques, plusieurs pistes ont été explorées, notamment : a) l’influence des enseignant(e)s, (b) l’implication parentale, c) les interventions contre l’anxiété.
L’influence des enseignant(e)s
De nombreux entretiens avec des personnes mathophobes mentionnent des expériences négatives avec leurs enseignant(e)s du primaire, notamment par rapport à leurs pratiques pédagogiques (apprentissage par cœur, cours très dogmatique…). Voici ce que l’on sait sur la question :
- De nombreux enseignant(e)s du primaire sont eux-mêmes peu confiants en math. Sans surprise, l’anxiété des enseignant(e)s semble être corrélée a de moins bons résultats en mathématiques11 mais aussi à des représentations plus stéréotypées des compétences mathématiques chez les filles (« les garçons sont forts en math, les filles sont meilleures en lecture »)12.
- Les enseignant(e)s mathophobes ont davantage tendance à utiliser des approches pédagogiques dogmatiques que les enseignant(e)s plus confiants2.
- Les enseignant(e)s mathophobes sont globalement moins à l’écoute de leurs élèves. Ils ont aussi davantage tendance à avoir des réactions négatives lorsque ceux-ci posent des questions ou rapportent des difficultés à comprendre. Le résultat est que les élèves d’enseignant(e)s mathophobes posent moins de questions en classe.
- Les techniques d’évaluation stressantes (e.g. contrôles chronométrés, oraux…) ne font qu’empirer les problèmes d’anxiété chez les élèves mathophobes.
Il est donc important pour les enseignant(e)s de prendre en considération leur propre niveau de mathophobie ainsi que les stéréotypes de genre qu’ils et elles peuvent avoir adopté.
Les auteurs de ces recherches font plusieurs recommandations aux enseignant(e)s :
- Ne jamais se montrer hostile ou moqueur face à un élève en difficulté, et ne pas tolérer ce genre de comportement de la part de ses camarades. Les chercheurs insistent sur le fait qu’un enseignement uniquement basé sur l’exigence de résultats mais n’offrant que peu de soutien cognitif et émotionnel peut rebuter les élèves et faciliter l’émergence de la mathophobie3,11,13.
- Eviter les propos essentialistes ou fatalistes du type “ok, tout le monde ne peut pas être bon en math”. Il faut au contraire encourager les élèves à poser des questions et demander de l’aide en cas de difficulté.
- Encourager les programmes de tutorat individuel peut augmenter les performances et réduire la mathophobie14.
- Si l’évaluation est formative (c'est-à-dire une évaluation pour s’entrainer et qui ne compte pas pour la note finale), il est conseillé de se montrer plus flexible avec les élèves anxieux : « Ne t’inquiète pas si tu ne finis pas dans les temps, je peux rester jusqu’à ce que tu ais terminé… ».
- L’utilisation d’applications mathématiques notamment sur tablette peut aussi avoir des effets positifs15,16.
Cela étant dit, il n’en demeure pas moins que de nombreux élèves réussissent malgré des enseignant(e)s mathophobes et que de nombreux élèves échouent malgré des enseignant(e)s mathophiles, il y a donc d’autres facteurs à prendre en compte.
L’implication parentale
L’efficacité du soutien scolaire par les parents reste encore controversée. Par exemple, une étude montrait que des attentes élevées et du soutien à la maison prédisent bien une augmentation des résultats via une diminution de l’anxiété17. Toutefois, une autre étude rapportait que lorsque le soutien provenait de parents souffrant eux-mêmes de mathophobie, celui-ci s’avérait contre-productif car il aboutissait à encore plus d’anxiété chez l’élève18. Il est possible que ces parents partagent avec leurs enfants leurs sentiments à propos des maths (e.g. « c’est tellement compliqué les maths ! ») ou leurs propres expériences (e.g. « j’ai toujours détesté cette matière ») ce qui normaliserait la peur des mathématiques chez l’enfant. Une autre possibilité est que les parents fournissent des techniques pour résoudre les problèmes mathématiques qui diffèrent de celles utilisées par l’enseignant(e), ce qui augmenterait encore plus la confusion chez l’élève.
Les auteurs sur ce sujet font donc plusieurs recommandations aux parents :
- Interagir avec les mathématiques de façon positive en soulignant l’utilité des maths au quotidien et leurs aspects amusants. Par exemple, l’exposition régulière aux mathématiques via des jeux de sociétés, impliquant des chiffres et des calculs peut améliorer l’attitude de l’enfant face aux mathématiques.
- Éviter à tout prix la diffusion de croyances fausses et contre-productives du type « Les maths sont trop durs pour la plupart des gens. », « il y a un gène des maths, soit tu l’as, soit tu ne l’as pas », « Les filles ne sont pas faites pour les math » etc.
- Utiliser le support numérique. Plusieurs études montrent que l’utilisation du numérique, notamment avec des parents anxieux, peut avoir des effets bénéfiques sur l’apprentissage15,16.
Les interventions contre l’anxiété
Quelques études ont testé des interventions visant directement l’anxiété :
- Lecture sur le stress. Dans une étude, les élèves auxquels on avait fait lire un texte sur la façon dont le stress peut aider à performer avaient de bien meilleurs résultats qu’un groupe témoin à qui l’on avait dit d’ignorer le stress19.
- Séance d’écriture libre. Une autre étude avait demandé à des élèves mathophobes d’écrire librement sur comment ils se sentaient par rapport aux prochains examens de mathématiques20. Après une seule session d’écriture, ces élèves voyaient leurs performances augmenter significativement.
- Biographies réalistes des « génies ». Les élèves à qui l’on enseigne les difficultés et les erreurs auxquelles avaient dû faire face des scientifiques connus (par rapport à un groupe témoin à qui l’on ne racontait que leurs découvertes), se montrent davantage intéressés et ont de meilleures notes21. Les auteurs insistent sur le fait que l’erreur faisant partie intégrante de l’apprentissage scientifique, une vision plus réaliste de ces “génies” peut inspirer les élèves.
- Vidéos d’anciens élèves. Une autre étude comparait des élèves inquiets par rapport à leurs notes avant leur entrée au Lycée. Un groupe n’avait aucune information, et un autre avait regardé des vidéos d’anciens élèves expliquant qu’il est normal d’éprouver des difficultés la première année et qu’une période d’ajustement est souvent nécessaire. Le groupe ayant vu la vidéo a obtenu de meilleures notes, ce qui suggère que ce type de message peut aider à interpréter de manière plus constructive les difficultés éprouvées au Lycée. Cette intervention semblait particulièrement efficace chez les garçons22. Ainsi, le fait de présenter les erreurs et les difficultés comme faisant partie intégrante d’un processus normal peut permettre aux élèves d’interpréter les leurs de façon plus constructive lorsqu’ils y font face.
- Exercices de respiration. Des exercices de respirations dirigés semblent aussi être efficaces pour les étudiants avec des grands niveaux d'anxiété23.
Les auteurs font l’hypothèse que ces différentes interventions ont offert aux élèves mathophobes de nouvelles façons d’interpréter leurs pensées et leurs inquiétudes. Un nouvel état d’esprit qui ne perçoit plus le stress ou l’erreur comme un signe de faiblesse ou d’échec personnel, mais bien comme une partie normale de l’apprentissage peut donc être promu par les éducateurs. Tous ces différents résultats semblent assez bien refléter ce que l’on sait des traitements efficaces contre l’anxiété, à savoir le rôle important de la désensibilisation et de la reformulation de nos pensées.
Références
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3 Suárez-Pellicioni, Macarena, Núñez-Peña, María Isabel and Colomé, Àngels (2016) ‘Math anxiety: A review of its cognitive consequences, psychophysiological correlates, and brain bases’. Cognitive, Affective, & Behavioral Neuroscience, 16(1), pp. 3–22. [online] Available from: https://doi.org/10.3758/s13415-015-0370-7 (Accessed 23 March 2022)
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5 Spelke, Elizabeth S. (2005) ‘Sex Differences in Intrinsic Aptitude for Mathematics and Science?: A Critical Review’. American Psychologist, 60(9), pp. 950–958.
6 Carey, Emma, Hill, Francesca, Devine, Amy and Szücs, Dénes (2016) ‘The Chicken or the Egg? The Direction of the Relationship Between Mathematics Anxiety and Mathematics Performance’. Frontiers in Psychology, 6. [online] Available from: https://www.frontiersin.org/article/10.3389/fpsyg.2015.01987 (Accessed 22 March 2022)
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Date de dernière mise à jour : 11/07/2022